Le procès tant attendu dans l’affaire de la disparition de Pierre Urbain Dangnivo a repris ce mardi 08 avril 2025 au tribunal de première instance de Cotonou, après une suspension intervenue le 19 mars dernier. À la barre ce jour, l’accusé Alofa a fermement nié tout lien avec la victime, un ancien cadre du ministère de l’Économie et des Finances (MEF) disparu mystérieusement en août 2010.
Disparu dans des circonstances troubles il y a bientôt 15 ans, Pierre Urbain Dangnivo reste au cœur d’une affaire judiciaire sensible et emblématique au Bénin. L’audience de ce mardi a ravivé l’intérêt autour de ce dossier qui a marqué l’opinion publique pendant plus d’une décennie.
Le 19 mars dernier, le procès avait été suspendu après l’audition de Firmin Boco, alors colonel et président de la commission d’enquête mise en place au moment des faits. Aujourd’hui contrôleur général de police, il avait été appelé à la barre pour éclairer certaines zones d’ombre autour de l’enquête initiale.
Lors de cette nouvelle journée d’audience, Alofa, l’un des principaux accusés dans le dossier, a tenté de se dédouaner de toute responsabilité, affirmant n’avoir jamais été lié à Dangnivo. Cette déclaration renforce la ligne de défense qu’il maintient depuis le début de l’instruction.
Accusés Codjo Alofa et Donation Amoussou en audience
Ce mardi 8 avril, Codjo Alofa, le principal accusé, et son présumé complice, Donation Amoussou, se retrouvent dans la salle d’audience après 9 heures. Vêtus de tenues locales Bohumba, leurs gilets de prisonniers ajoutant un contraste marquant, les deux hommes attendent le début de l’audience avec sérénité, mais l’issue du procès demeure incertaine.
Tous les avocats des parties en présence, tant de la défense que de la partie civile, sont également présents dans la salle.
11h50 : Mise en place du dispositif judiciaire
La cour s’organise méticuleusement, les derniers préparatifs sont réalisés pour garantir le bon déroulement de l’audience.
12h05 : L’audience reprend son cours
Les débats reprennent
Le président Céans informe que les mesures d’instructions complémentaires demandées ont été accomplies. Il demande que les nouvelles pièces soient remises à la partie civile et aux avocats de la défense.
Avant les débats du jour, le magistrat a annoncé qu’au cours de cette audience les pièces nouvellement communiquées aux avocats ne seront pas traitées. Deux personnes seront écoutées aujourd’hui, a-t-il annoncé. La première personne est Julien Akpaki, ex-directeur général de l’ORTB.
Le président de Céans lui fait prêter serment. Ensuite il lui demande de montrer entre les deux prévenus celui qu’il a reconnu. Julien Akpaki montre Amoussou Donatien.
Dans quelle circonstance l’avez-vous connu ?, interroge le président de céans. L’ex-DG apprend qu’il était dans son bureau, un vendredi, lorsque Auguste Amoussou (le frère de Donation Amoussou, Ndlr) est venu le voir pour lui dire que l’ORTB a diffusé un communiqué par rapport à un véhicule. Auguste Amoussou lui aurait dit qu’il a des informations à donner à la présidence à ce sujet.
Akpaki a dit comme l’information est sensible, il va l’introduire à un colonel qui est à la présidence. C’est ainsi que l’ex-DG de l’ORTB a appelé le colonel Koumassègbo. Le colonel lui aurait dit qu’il est occupé en ce moment. Le lundi qui a suivi, Auguste Amoussou est revenu le voir avec son frère Donatien et un camerounais (Prizo).
Akpaki a appelé le colonel qui a demandé de les envoyer vers lui. Ce qu’il a fait. C’est quelques jours après, fait savoir Julien Akpaki, qu’Auguste Amoussou l’a appelé pour lui dire que son frère est gardé.
Dans sa déposition, Auguste Amoussou a confié avoir déjeûné avec l’ex-DG. A la barre, Akpaki dit que ce n’est pas de ses habitudes d’offrir de repas à ceux qu’il ne connait pas.
-Président de céans: avez-vous mis monsieur Auguste Amoussou en contact avec les services de renseignements ?
-Julien Akpaki : Non. C’est avec le Colonel Koumassègbo que je connaissais en tant que chef sécurité.
L’ex-DG ORTB dit ne pas connaître Auguste Amoussou jusqu’à ce qu’il l’appelle pour lui dire qu’il a des informations sur le véhicule recherché. Lorsqu’Auguste Amoussou l’a appelé, il lui aurait dit qu’il est de la presse.
-Président de céans : Avez-vous déjà su que Dangnivo avait disparu ?
-Julien Akpaki : En tant que directeur général de l’ORTB, j’ai appris la disparition.
-Président de céans : Avez-vous fait le lien entre le véhicule et Dangnivo ?
-Non. Je ne connaissais pas la teneur du communiqué diffusé sur l’ORTB, a répondu l’ex-DG de l’ORTB.
Julien Akpaki dit ne pas connaître Auguste Amoussou. Il ne se souvient pas avoir dîné avec lui et son frère Donation non plus. C’est à la demande expresse d’Auguste Amoussou qui voulait communiquer des informations à la présidence qu’il l’a introduit auprès du colonel Koumassègbo, a-t-il expliqué.
La partie civile prend la parole
Comment Auguste Amoussou a-t-il su que ces informations devraient être versées aux autorités ?, interroge une avocate.
Selon Julien Akpaki, la question devrait être posée à Auguste. « Je n’avais pas le communiqué devant moi. C’est Auguste qui a demandé qu’il voulait aller porter les informations à la présidence », a-t-il poursuivi.
La partie civile rappelle à Akpaki qu’Auguste a dit qu’il est venu vers lui parce qu’il était DG ORTB et qu’il a vu la bande défilante à la télévision nationale. Akpaki dit ne pas se souvenir si Auguste est passé par son secrétariat particulier pour le voir ou s’il l’avait appelé
Avez-vous demandé à Auguste où se trouvait le véhicule ?, demande la partie civile.
« Non. A sa demande moi je l’ai introduit pour qu’il aille dire ce qu’il sait », a insisté l’ex-DG.
Un avocat de la défense maître Akplogan prend la parole: vous pouvez nous dire à quel moment l’ORTB a commencé à diffuser le communiqué ?
Julien Akpaki : Je peux vaguement dire la période. Août septembre
Me Akplogan : Vous savez qui a envoyé le communiqué ?
Julien Akpaki : Non. Je ne savais pas.
Selon l’ex-DG ORTB, c’est Auguste qui lui a dit détenir des informations sur le véhicule recherché et qui serait de Dangnivo.
Donatien Amoussou contredit Julien Akpaki
A la suite de l’avocat, Donatien Amoussou, présumé complice de Codjo Alofa prend la parole. Selon lui, le premier jour que son grand frère a appelé le DG, le téléphone était sur main libre. Il dit que son grand frère ne sait pas présenter au DG. Pour lui, c’est comme si le DG et son grand frère se connaissaient. Le DG aurait dit à Auguste d’envoyer Donatien et Prizo. Et c’est deux jours après qu’ils sont allés voir le DG.
Donatien apprend ensuite que Prizo a narré tout au bureau du DG. Et c’est alors que le DG a appelé le colonel Koumassègbo devant eux. Le jour de l’exhumation, poursuit le prévenu, le DG, son grand frère et lui étaient à la place des souvenirs autour de 23 h. Donatien relève que s’il voulait donner les informations à la présidence, que ce n’est pas Akpaki qu’il allait voir. Il connaissait des gens à la présidence. Parmi eux, des compagnons d’armes et même quelqu’un qui l’avait formé
Après cette réaction du présumé complice, Julien Akpaki réplique. Auguste est venu d’abord seul dans son bureau, martèle-t-il. L’ex-DG ne reconnaît pas être resté avec Donatien et son grand frère la nuit de l’exhumation.
13:03: Fin de la déposition de Julien Akpaki.
La deuxième personne à écouter doit déposer par visioconférence. Mais le dispositif n’est pas encore fonctionnel. Le président Céans a donc suspendu l’audience pour permettre la mise en place du dispositif.
13H18 : Reprise de l’audience
Président de Céans : Nous allons écouter Docteur Akabassi Ghislain. C’est un sachant. Il a de la science dans une matière qui peut nous aider. Le magistrat rappelle que dans les dépositions, Alofa avait indiqué qu’il a administré à Dangnivo un produit appelé en Fon » Ayokpè ».
Le président de Céans lui demande de décliner son identité
Le Sachant : Je suis Dr Akabassi Ghislain.
Il est Dr en Biodiversité et Changements climatiques. Le sachant explique que pour son Master, il a travaillé sur l’espèce dénommée « Ayokpè » en Fon dont le nom scientifique est « Picralima nitida ». Il est également spécialiste de l’espèce au Bénin. Selon l’expert, à forte dose, l’espèce devient nocive parce qu’elle accélère la fréquence cardiaque.
C’est une espèce utile mais son utilisation doit être contrôlée, avertit le spécialiste.
Président de Céans : est-ce que administré à un adulte, l’espèce peut tuer ? Si oui à quelle dose ?
Dr Akabassi : Quand un être humain consomme les substances de Ayokpè, à une dose forte, ça peut tuer ses cellules. A forte dose, ça peut intoxiquer voire être fatal.
Le président de céans a alors voulu savoir si les bokonons (marabouts en langue local Fon parlée au sud du Bénin,) du sud de Bénin, utilisent Ayokpè dans leur métier. Le docteur a répondu par l’affirmative. Selon lui, à Ifangni et Sakété entre autres, les gens utilisent fréquemment Ayokpè. Ça s’utilise beaucoup par les tradi-thérapeutes, a-t-il ajouté.
Selon Dr Akabassi, de manière générale les produits naturels ne font pas tomber dans les pommes immédiatement après consommation. Il faut un peu de temps pour voir les effets, a-t-il indiqué. Le spécialiste précise qu’il faut des essais cliniques pour savoir à quelle dose, la consommation de Ayokpè peut être fatale.
Après les explications du sachant, Alofa a la parole
Alofa à la barre
A la barre, le principal accusé de la mort de Pierre Urbain Dangnivo dit qu’il n’avait pas parlé de « Ayokpè » mais plutôt « sokpakpè ». Il rappelle que sa première version était ce qu’on lui avait demandé de dire. Alofa insiste qu’il ne connait pas Dangnivo. « La vérité dans tout ce que je dis depuis c’est que je ne connais rien de Dangnivo », a-t-il martelé.
L’audience a été suspendue, laissant les parties en suspens. La reprise est officiellement programmée pour demain, avec l’espoir que des progrès significatifs seront réalisés dans l’affaire.